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Les principales hypothèses étiopathogéniques des schizophrénies

Dr Asquier Thierry8 décembre 2014

Introduction

Le 5e opus sur les schizophrénies concerne les principales hypothèses causales ou étiopathogéniques qui sont actuellement explorées.

La meilleure compréhension des mécanismes intimes de ces maladies, mais également la recherche de facteurs de vulnérabilité intrinsèques et contextuels sont fondamentales dans une optique curative et préventive de ces maladies au pronostic sombre.

Bien entendu, cet article ne fera que survoler les différentes hypothèses actuellement les plus étayées et ne sera pas non plus ni exhaustif ni définitif, en raison de l’incroyable dynamisme de la recherche dans les neurosciences et les schizophrénies.

Nous consacrerons également quelques chapitres aux hypothèses, plus classiques parfois, impliquant les approches psychanalytiques, comportementales et systémiques des schizophrénies, dont l’intérêt se situe au-delà d’une approche historique pour représenter encore aujourd’hui un fil conducteur des prises en charge de ces pathologies.

Pour simplifier et clarifier notre propos nous évoquerons les hypothèses suivantes :

  • Les hypothèses génétiques
  • Les hypothèses biologiques
  • Les hypothèses neurologiques
  • Les hypothèses psychologiques
  • Les hypothèses contextuelles.

Les hypothèses génétiques

Les hypothèses génétiques modernes des schizophrénies se sont clairement éloignées de la notion d’hérédité telle qu’elle était anciennement admise, c’est-à-dire « grosso modo » selon un modèle « Mendélien » en vigueur au début du XXe siècle, correspondant aux premières véritables descriptions élaborées des schizophrénies.

Aujourd’hui, l’interactivité gènes/environnement est clairement admise et argumentée.

L’hypothèse génétique la plus communément admise fait des schizophrénies, des maladies polygéniques (c’est-à-dire impliquant plusieurs gènes), multifactorielles à « effet de seuil » (c’est-à-dire que la seule explication génétique ne suffit pas, les multiples gènes pris séparément n’auraient qu’un rôle mineur s’ils n’étaient pas combinés aux effets de l’environnement).

Plusieurs gènes « candidats » ont été identifiés, sans qu’aucun ne soit aujourd’hui clairement responsable de ces maladies, ni qu’on soit clairement sûr de leurs modalités d’interaction avec l’environnement, également indéfini par ailleurs.

Classiquement cette approche étiopathogénique s’appuie sur des études concernant les jumeaux, mais aussi celles concernant les études épidémiologiques autour de l’héritabilité (c’est-à-dire un caractère acquis et transmissible aux descendants), les études familiales (qui ont révélé une fréquence accrue des schizophrénies chez les apparentés), les études d’association (qui correspondent à la recherche d’une association entre une maladie et un polymorphisme génique) et enfin depuis peu sur des études sur « le génome entier ».

Devant l’hétérogénéité des schizophrénies, il est par ailleurs communément admis l’existence d’un « spectre schizophrénique » probablement cohérent face à des anomalies génétiques communes détectées.

Les gènes candidats impliquent plusieurs systèmes de neurotransmetteurs en particulier dopaminergiques, mais également sérotoninergiques et glutamatergiques.

Mais ce spectre impliquerait également des gènes de croissance neuronale (en particulier le BDNF : Brain Derived Neurotrophic Factor et le NGF : Nerve Groth Factor) particulièrement actifs lors des phénomènes de migration neuronale et de maturation cérébrale durant l’enfance et l’adolescence.

L’impact des variations géniques chez un même individu dépend du contexte dans lequel ces gènes s’expriment. Un certain nombre de facteurs environnementaux ont été identifiés comme facteurs de risque favorisant l’émergence d’un trouble schizophrénique à l’âge adulte.

On peut citer :

  • La consommation de Cannabis
  • L’existence de complications obstétricales
  • Des infections virales durant le deuxième trimestre de la grossesse
  • Une dénutrition durant la grossesse
  • Et le fait d’être élevé en milieu urbain.

L’existence de ces facteurs de risque doit se comprendre comme facteurs de risque selon le profil génique et en particulier selon l’existence de certaines anomalies géniques chez un individu donné, et dans une certaine réciprocité. Par exemple si le fait de consommer du Cannabis représente un facteur de vulnérabilité aux schizophrénies chez un individu présentant certaines anomalies génétiques, l’existence de certaines anomalies géniques peuvent moduler (accroître ou réduire) l’impact de la consommation cannabique chez ce même individu.

La découverte de facteurs génétiques de vulnérabilité chez un individu donné n’a pas de grande valeur prédictive du développement de la maladie schizophrénique, d’autant que les interactions gènes/environnement demeurent des énigmes aujourd’hui largement non élucidées.

Les hypothèses biologiques

Parmi les hypothèses biologiques impliquant les systèmes de neurotransmetteurs dans la genèse des troubles schizophréniques, trois systèmes se dégagent aujourd’hui. Historiquement, l’hypothèse dopaminergique, tirée initialement des connaissances du fonctionnement des neuroleptiques, demeure très présente, malgré des développements contradictoires récents.

A côté de ce système dopaminergique, deux autres systèmes sont actuellement étudiés dans ce registre des hypothèses biologiques schizophrénies. Il s’agit de l’hypothèse sérotoninergique et de l’hypothèse glutamatergique.

  • L’hypothèse dopaminergique : tirée du fonctionnement « anti-dopaminergique » des neuroleptiques historiques, mais aussi devant la possibilité de création d’authentiques états psychotiques par la dopamine et apparentés, cette hypothèse demeure la plus documentée. Il pourrait s’agir en fait d’un déséquilibre fonctionnel entre différentes structures dopaminergiques corticales (Cortex préfrontal) et sous-corticales (noyau accumbens, amygdales, striatum). On a longtemps parlé de « l’hypofrontalité » dans les schizophrénies.
  • L’hypothèse sérotoninergique : elle provient d’un double constat ; celui d’une raréfaction fréquemment retrouvée de certains récepteurs sérotoninergiques dans certaines zones, en particulier le cortex frontal, associée à de faibles quantités de sérotonine dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) de certains schizophrènes. Cette « hyposérotoninergie » relative pourrait expliquer la dimension négative des schizophrénies. Malheureusement, du fait des interactions privilégiées entre les systèmes dopaminergiques et sérotoninergiques, il est particulièrement difficile de déterminer si ces anomalies ne seraient simplement pas les conséquences du déséquilibre dopaminergique.
  • L’hypothèse glutamatergique : une « hypo-activité » glutamatergique pourrait intervenir dans les schizophrénies. Cette hypothèse récente propose un intéressant potentiel de recherche.

Citons également dans ces hypothèses biologiques, mais de façon peut être plus anecdotique par manque de travaux contrôlés, d’autres mécanismes impliquant la noradrénaline, le GABA, l’histamine, la neurotensine (peptide neuronal)…

Enfin, ces hypothèses biologiques ont parfois impliqué des systèmes endocriniens, en particulier celui de l’hormone de croissance (GH) et le système ACTH (corticotrope).

Les hypothèses neurologiques

Ces hypothèses reposent sur différentes possibilités modernes d’imagerie cérébrale et d’explorations électro physiologiques qui ont permis de retrouver quelques anomalies et qui, bien que non spécifiques, permettent d’évoquer sans surprise l’existence d’hypothèses neurologiques dans la compréhension des schizophrénies.

Trois types d’examens peuvent être utilisés :

  • Imagerie structurelle (Scanner et IRM) : on retrouve différentes anomalies structurelles, en particulier des réductions de volume de certaines structures cérébrales (diminution du volume des ganglions de la base, du volume des régions temporales, du système limbique, du thalamus et du cervelet). Il semblerait que ces réductions de volume cérébraux seraient d’autant plus importants que la maladie est avancée. Imagerie fonctionnelle (IRM fonctionnelle, potentiels évoqués cérébraux, électroencéphalogramme EEG) :
  • L’EEG retrouve une activité excessive des bandes « hautes fréquences » notamment dans les régions fronto-temporales, ainsi qu’une augmentation d’activité dans certaines bandes « basses fréquences ».

Il est classique d’évoquer les anomalies de l’onde P300 (amplitude réduite et prolongée) dans l’exploration des potentiels évoqués. Ces anomalies de la P300 sont habituellement reliées aux symptômes négatifs et désorganisés. Plus récemment, des anomalies de la P 50 pourraient être corrélées au déficit de l’attention soutenue observée chez le schizophrène.

L’IRM fonctionnelle montre des perturbations concernant le contrôle cognitif qui se définit par notre « habilité à coordonner nos pensées et nos actes, en cohérence avec les buts fixés”. Ces troubles du contrôle cognitif retrouvés chez le schizophrène sont rattachés à des dysfonctions du cortex préfrontal latéral.

  • Imagerie dite moléculaire (PET scan) : retrouve des diminutions des taux d’occupation des récepteurs dopaminergiques D2.

Les hypothèses psychologiques

Encore une fois, cet article n’a pas la prétention d’être complet, mais celle de proposer un survol large, tant sur le plan transversal des différents secteurs médicaux impliqués, que sur la compréhension diachronique des schizophrénies.

Cette dimension diachronique, longitudinale, concerne également l’évolution « naturelle » des différentes grandes idéologies psychiatriques qui se sont développées durant le dernier siècle, avec leurs apogées et leurs régressions.

Ces hypothèses concernent essentiellement la dynamique psychanalytique des psychoses, la compréhension cognitivo-comportementale des schizophrénies et l’abord systémique familial des schizophrénies (interactionnel et communicationnel). Ces approches sont toujours d’actualité, participant clairement à la prise en charge des patients schizophrènes, même si elles passent en second plan.

Par la lecture des chapitres précédents de cet article, on peut comprendre que l’intrication de l’individu et de son contexte élargi, participe de façon intime mais également de façon énigmatique à la constitution du patient schizophrène dans toute sa complexité.

Hypothèses contextuelles

Que cela concerne l’incidence de l’usage de toxiques, en particulier du Cannabis impliqué dans la « schizophrénie induite », l’impact du niveau socio-économique et socio-culturel sur la genèse des schizophrénies, les relations intra-familiales et autres hypothèses alimentaires, il est absolument impossible d’être exhaustif et encore moins d’être catégorique sur la compréhension des actions du contexte sur le développement des schizophrénies.

Néanmoins, l’acceptation d’une participation étiopathogénique contextuelle a permis le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques développées sous l’appellation de « psychoéducation » dans la schizophrénie, que nous développerons dans l’article sur les traitements des schizophrénies.

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