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La fibromyalgie vue par le psychiatre

Dr Asquier Thierry11 novembre 2014

Généralités

La fibromyalgie est désormais quasiment reconnue comme un syndrome douloureux complexe et diffus, plus qu’une véritable maladie qu’on pourrait autonomiser clairement. Elle est décrite maintenant pratiquement depuis un siècle, et pourtant encore vivement controversée dans sa légitimité, en dépit d’un nombre considérable de publications scientifiques, de plusieurs spécialités telles que la rhumatologie, l’orthopédie et la médecine interne.

La constance des troubles psychiatriques observés active un débat permanent quant à la filiation avec une entité morbide psychiatrique, pourtant non prouvée, bien que le diagnostic soit actuellement porté la plupart du temps par le rhumatologue ou l’interniste.

Ainsi, la légitimité du psychiatre dans la prise en charge de cette entité n’est aujourd’hui plus à remettre en cause, d’autant que les hypothèses causales renforcent la dimension psychique de cette affection polymorphe.

Épidémiologie

La fréquence de la fibromyalgie dans la population générale est assez stable quels que soient les pays « développés » ou autres, avec une prévalence (c’est-à-dire un nombre total de malades) de 2 % tous sexes confondus, 3,4 % pour les femmes et 0,5 % pour les hommes.

La prédominance féminine est une caractéristique constante (dans plus de 80 % des cas), concernant plutôt la femme d’âge mûr.

Symptômes, Diagnostic

La fibromyalgie associe :

  • une symptomatologie douloureuse à prédominance axiale ;
  • des signes associés, notamment une fatigue chronique matinale ;
  • et des troubles du sommeil.

À cette triade fondamentale s’ajoutent d’autres manifestations variées donnant un aspect polymorphe trompeur à cette affection.

Il est d’ores et déjà important de souligner la grande proximité symptomatique de la fibromyalgie avec la dépression dans ses symptômes cardinaux.

Cette fatigue qui est régulièrement renforcée par une sensation de sommeil non réparateur, peut également être associée à des raideurs articulaires, souvent matinales. Les manifestations communes variées sont retrouvées dans 25 % des cas, avec côlon irritable, phénomène de Raynaud, céphalées, gonflements subjectifs des articulations, paresthésies, impuissance sexuelle fonctionnelle (c’est-à-dire sans anomalie vasculaire), troubles psychologiques variés, hypersensibilité symptomatique.

Les troubles psychologiques

Parmi les troubles psychologiques constamment retrouvés et décrits unanimement comme signes additionnels, ceux-ci sont souvent dénommés « troubles du spectre affectif ». Ils comportent anxiété, dépression et troubles cognitifs, de même qu’une grande fréquence de crises de panique et une certaine tonalité de « catastrophisme » correspondant à une amplification importante et pessimiste de l’anxiété.

Fatigue « musculaire »

La fatigue chronique de repos concernerait près de 90 % des patients fibromyalgiques. Elle est décrite comme une altération de la concentration et de la mémoire, un manque de motivation, une impression d’énergie réduite. En fait, elle correspond bien plus à la fatigue psychique telle qu’elle peut être décrite dans les troubles affectifs.

Certains auteurs évoquent la nécessité de prendre en compte la dimension de fatigabilité d’effort, notamment aux efforts répétitifs, qui devrait pouvoir être quantifiable.

Troubles du sommeil

Rapportés spontanément par les patients dans 25 % des cas, mais quasi constants dans les faits, avec un sommeil non réparateur, superficiel et fragmenté. Ils concernent la phase profonde du sommeil, de même, ils comportent une prolongation de la latence d’endormissement et un raccourcissement de la durée totale du sommeil.

Examen clinique

En contraste avec cette riche symptomatologie fonctionnelle, l’examen clinique est négatif, sauf association ou coïncidence, ou ne montre qu’une anomalie : la douleur provoquée par la pression modérée de certaines zones corporelles, principalement proches de l’axe vertébral et de la racine des membres, ce qui permet de déterminer le syndrome algique axial.

Examens complémentaires

Aucune anomalie biologique spécifique n’est constatée. Les douleurs diffuses font partie des douleurs sans autre élément patent, ce qui fait de la palpation physique à la recherche des points douloureux l’examen majeur du diagnostic. Nul besoin de recourir à d’autres explorations biologiques ou radiologiques.

On considère le diagnostic comme validé du moment que 11 points douloureux sur 18 sont retrouvés lors de l’examen clinique. Mais actuellement ce critère diagnostique essentiel est en cours de réévaluation.

Diagnostic différentiel

Des similitudes entre un syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie sont reconnues. Le syndrome de fatigue chronique est décrit comme un état d’asthénie datant d’au moins 6 mois, sans cause connue, non atténué par le repos, entraînant une baisse de plus de 50 % de l’activité quotidienne.

Physiopathologie

Les causes de cette affection ne sont qu’hypothétiques. Parmi celles-ci, les troubles du système nerveux central et de la modulation de la douleur sont généralement admis. Un peu comme si le message tactile « normal » était « entendu » et compris comme une douleur. Cette hypothèse centrale semble par ailleurs corroborée par les explorations fonctionnelles qui retrouvent des anomalies du flux sanguin dans les zones d’intégration cérébrales de la douleur.

Place du psychiatre

Néanmoins pour le psychiatre, la fibromyalgie, dans un contexte intégratif, doit être considérée comme une affection « transversale », faisant le lien subtil entre un tableau d’essence psychiatrique et une constellation somatique dont le versant psychique pourrait être conçu comme réactionnel. La spécificité du trouble douloureux chronique implique une compréhension du malade dans son environnement, selon « un diagnostic global », afin de ne pas méconnaître l’intrication des éléments biophysiques, intersubjectifs et sociojuridiques.

Au total, l’état de nos connaissances ne permet pas de formuler de schéma pathogénique uniciste. Les mécanismes conduisant au processus douloureux de la fibromyalgie ne sont pas univoques, faisant intervenir de nombreux facteurs, physiques, psychiques, peut-être endocriniens, formant une chaîne d’événements à l’origine de cette affection.

Toutes ces données laissent à penser que la fibromyalgie implique forcément des composantes variées du système nerveux central, conduisant finalement à une diminution du seuil de la douleur et à l’apparition d’un syndrome douloureux chronique.

Traitements

La prise en charge thérapeutique de la fibromyalgie est difficile. La guérison de la fibromyalgie n’est pas actuellement réellement possible et sans doute pas par l’intermédiaire d’un traitement unique. Néanmoins une amélioration de la qualité de vie peut être apportée. L’approche thérapeutique ne doit se concevoir que de façon multidisciplinaire et multimodale.

Information et éducation du patient

Une information complète doit être délivrée au patient après confirmation clinique du diagnostique. La reconnaissance de la maladie et de la plainte douloureuse est essentielle comme préalable thérapeutique. Il est nécessaire d’aborder avec le patient la définition, l’évolution et le pronostic de la maladie, mais aussi les limites des traitements. Il faut insister sur la nature chronique mais bénigne de la maladie, sur l’inutilité des examens et consultations répétés et faire prendre conscience que les différents symptômes (fatigue, troubles du sommeil, et autres symptômes fonctionnels) résultent de la même maladie.

Les traitements médicamenteux

Les antalgiques périphériques sont proposés en première intention sous la forme de paracétamol (simple ou en association avec la codéine).

L’emploi de la morphine est contre-indiqué dans cette situation, d’autant qu’un usage toxicophillique et un risque de dépendance sont à craindre compte tenu du terrain.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens se révèlent peu ou non actifs, volontiers mal tolérés. La corticothérapie générale a été tentée sans succès et ne se justifie pas.

Les hypothèses mettant en avant une origine centrale justifient l’utilisation de traitements psychotropes. La majorité des essais ont utilisé des antidépresseurs « tricycliques » généralement à faibles doses, ou des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS).

L’efficacité de ces traitements médicamenteux demeure tout de même modeste avec parfois des effets indésirables problématiques, ce qui réduit d’autant l’intérêt de cette prise en charge médicamenteuse, en particulier sans association avec les autres stratégies.

Les traitements non médicamenteux

Le programme de ré-entrainement musculaire est une voie thérapeutique importante. La réadaptation à l’effort doit tenir compte d’une accentuation habituelle des douleurs musculo-tendineuses pendant les premières semaines et ne doit s’envisager que progressivement.

Différents types d’exercices sont proposés : étirements doux, exercices d’entraînement (marche, bicyclette, natation). Ce programme amène de bons résultats à condition d’être suffisamment prolongé, avec toutefois de grandes variations individuelles.

La physiothérapie (sous toutes ses formes : massages, application de chaleur, électrothérapie), parfois utile en début de traitement, n’a aucun intérêt au long cours.

La prise en charge psychologique

Elle demeure une nécessité en association avec les autres stratégies. Plusieurs thérapies sont proposées avec des efficacités diverses mais dont le mérite est d’envisager la personne souffrante dans son unité plutôt qu’une maladie algique somatomorphe.

  • Psychothérapie de soutien qui est envisagée lorsqu’un état dépressif est présent ;
  • Thérapies cognitives et comportementales (TCC) ;
  • Techniques de relaxation, entraînement autogène (méthode de Schultz) ;
  • Reconnaissance et gestion des facteurs modulant la douleur ;
  • Accompagnement social et souvent aide à la réinsertion professionnelle.

Toutes ces modalités thérapeutiques nécessitent l’implication du patient dans le projet thérapeutique en s’inscrivant dans la durée, en raison de la chronicité de cette affection.

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